Détours De Chant présente
Pénétrer dans l’univers des Facteurs Chevauxrisque d’ouvrir une brèche spatio-temporelle dans votre quotidien, sans certitude de retour à la normale.
Chaussures de rando, coupe-vent, gourde, fruits secs et bâton de pèlerin sont les accessoires indispensables pour suivre le duo jusqu’au refuge où il a entassé guitares en bois, lampes de poche et vieux livres remplis de légendes et autres histoires à dormir debout. Le chemin qui mène jusqu’au plateau – du tourne-disque- a été consciencieusement dégagé de toute balise pour que l’on ait l’impression de partir à l’aventure dès l’attaque du premier sillon. En effet, les Facteurs Chevaux n’entendent pas nous porter sur un rythme engageant ou nous entrainer par un refrain qui reviendrait comme un boomerang. Non, leurs chansons ont chacune une mission : vous faire humer l’odeur des séquoias, partager l’envol d’oiseaux migrateurs ou entrevoir les merveilles du Valhalla mythique avec pour seules armes : leurs harmonies vocales, deux guitares acoustiques chinées dans des brocantes et une autoharpe qui passait par là. Mais pour cela, il faudra éviter la mitraille des souvenirs qui hantent les plaines de l’est, nager au-dessus du clocher d’un lac de montagne et résister aux mirages des arbres transformistes.
Mais qui sont les instigateurs de ce voyage qui a l’air à la fois si fantastique et si dépouillé d’artifices ? Deuxauteurs-compositeurs, chanteurs et musiciens, ingénieurs du son, producteurs et promoteurs autodidactes dont on peut sans rougir commenter la rencontre par les termes consacrés que l’on réserve habituellement aux contes à la veillée.
Il était donc une fois Sammy Decoster, revenu d’une vie de jeune espoir du rock, brinquebalé par la société des spectacles des Etats-Unis à Paris, las du ronflement des amplis et de la chaleur des projecteurs. Sorti de scène pour s’isoler du tourbillon du monde et de l’adversité des sentiments, il s’était installé dans une caravane au cœur de la forêt de la Chartreusepour écouter le murmure des feuilles lui chuchoter comment sortir de ses idées noires. De son côté, Fabien Guidollet, parisien fripé par la pollution sonore des klaxons et des injures quotidiennes était parti en quête d’une résidence silencieuse, sans autre boussole que la soif d’air pur et d’authenticité. C’est ainsi que ses pas le menèrent jusqu’à un lac auréolé d’une riche histoire remontant au néolithique, suffisamment isolé des sentiers touristiques pour qu’il y rencontre Sammy, déjà en symbiose avec la nature environnante. Seule la chouette effraie sait comment se révéla l’alchimie entre leurs voix, leurs aspirations et leurs langages mais l’église de Domessin a su en recueillir le précipité.
C’est donc le miracle réitéré de la cabane isoléeau milieu de nulle part (cf Bon Iver, Laura Veirs et consorts) qui a aidé ces deux mavericks de la chanson (?) de la folk (??) du rock (???) à mettre leurs rêves et leurs rimes à l’unisson d’une émotion quasi mystique. D’autant plus unique et sincère, qu’ils portent leurs chansons écrites à quatre mainssur un entrelacs de chants qui monte dans des aigus vertigineux ou s’ourlent de notes graves à peine audibles, rendant hommage auxEverly Brothers… ou quelques chœurs suisses inconnus. Même si Sammy et Fabien n’ont aucune intention de réincarner le mystère de Brokeback Mountain, il y a en eux une réelle volonté de se tenir à la croisée des mondes, les deux pieds enfoncés dans la glaise détrempée de la grande Histoire de notre beau (?) pays et le regard tourné vers le nord pour nous extirper de notre trop plein de réalisme. Les jeux d’ombres qu’ils ont inventés avec deux ampoules à filaments et le reflet de la lune les font apparaitre tour à tour troubadourssentinelles au cœur de la forêt ou prophètes de l’apocalypse terrassant quelque démon antique d’un revers de manche de guitare.
Suivre les Facteurs Chevaux, c’est accepter d’oublier le dernier métro et le café du lundi matin pour se propulser dans la puretédu son de la voix et du bois. C’est se laisser charmer par le murmure de l’un, le baryton de l’autre, s’ouvrir aux mots qui refusent toute temporalité et naviguer à vue dans un espace pétri de mysticisme, de légendeset de réflexions empiriques. Le « petit bonhomme de glaise façonné de fadaises » admiratif du corps de la « sirène d’écorce couverte de plumes », c’est eux, c’est nous. Le surréalisme teinte leurs textes d’une universalité qui touche aussi bien à nos peurs d’enfants qu’à notre curiosité morbide pour ce qu’il y a après le bout du chemin. Est-ce pour cela que les Facteurs Chevaux aiment à jouer en public dans des lieux décaléscomme églises,temples,grotteset autres refuges de montagneà plus de mille mètres ? Mais que l’on soit effrayé ou fasciné par les changements de décors que leurs chansons nous imposent, on est toujours baigné par la lumière de leurs mélodies enchanteresses qui semblent avoir été soufflées par un Jeff Buckley sauvé des eaux. La scie se tait, la stalle claque sur le bois du jubé, les deux musiciens se retirent sur la pointe des pieds, nous laissant seuls avec les images et les odeurs qu’ils ont semées dans notre cerveau. Il a dû leur falloir une bonne dose d’utopie et d’extrémisme assumés pour enregistrer en une seule prise ces huit morceaux à la beauté noire réverbérée par l’écho minéral d’une église savoyarde.
Ebloui, sonné, interloqué ou enchanté… chacun réagira à sa manière selon son pouvoir d’émerveillement et sa dose de nihilisme. Mais vous l’aurez compris le voyage auquel nous convie ce disque – gravé dans le vinyle de notre époque – est hors des cartes routières et c’est pour cela que son souvenir ne peut que s’imprimer de manière indélébile dans les méandres de ceux qui iront jusqu’au bout du chemin.
Cathimini